Message à caractère informatif #2

Servitude volontaire (ou liberté par compromis ?)

Vous ne l’avez peut-être jamais remarqué, mais très souvent lors de campagnes électorales ou de débats politiques, il y a souvent quelqu’un (de gauche en général) qui nous cite un extrait du discours sur la servitude volontaire d’Étienne De La Boétie. Ce texte majeur, voire fondateur, vu qu’on en parle encore aujourd’hui, est pourtant très fréquemment mal interprété.

La Boétie nous parle dans ce texte de la condition entre oppresseurs et opprimés sous la forme d’une réflexion très critique envers le pouvoir absolu. Mais contrairement à la quasi-totalité des discours contestataires qui attribuent la responsabilité de la situation à l’oppresseur, La Boétie accuse l’opprimé d’être seul responsable de sa situation et du coup, ne dénonce pas les agissements des oppresseurs, mais bien la passivité ou le consentement des opprimés.

En effet, quoi de plus improductif et auto-victimisant (voire auto-infantilisant) que de se servir de l’oppresseur comme d’un bouc émissaire afin de se décharger de sa propre responsabilité à sa condition d’opprimé. La Boétie plaide pour une responsabilisation des opprimés plutôt que d’une culpabilisation des oppresseurs, car un oppresseur ne le devient pas par accident, il l’est car il a voulu l’être et se battra pour le rester.

Ceci étant dit, un éclaircissement s’impose. Quand on parle de servitude volontaire, il est clair que nous sommes en présence d’un oxymore. Personne ne choisit consciemment d’être serf et nous ne parlons pas non plus du syndrome de Stockholm ou le prisonnier sympathise avec son geôlier. La servitude volontaire, c’est l’abandon volontaire d’une part de liberté pour un confort psychologique, et l’habitude de ce confort est le pire ennemi de celui qui veut sortir de cette condition.

Jean De La Fontaine, dans sa célèbre fable du loup et du chien, reprend cette idée de servitude volontaire et du renoncement au confort pour garder sa liberté.
En effet, le loup, maigre et affamé, préfère retourner dans les bois plutôt que d’avoir, tel le mâtin (le chien) avec lequel il s’était entretenu, le ventre bien rempli et le poil soyeux, sous la condition de porter un collier, une laisse et au bout la main du maître.
D’ailleurs, il est intéressant de voir comment La Fontaine organise le dialogue entre les deux protagonistes, car le mâtin argumente à n’en plus finir pour essayer de convaincre le loup de renoncer à son statut de misérable, mais finalement, n’essaierait-il pas de se persuader lui-même du bien fondé de sa condition ?

J’entends déjà dire que c’était l’époque des monarchies et qu’aujourd’hui c’est différent, car nous sommes en démocratie. N’oublions pas que dans notre modèle démocratique, nous consentons au renoncement de notre pouvoir décisionnel au profit d’un inconnu (principe de l’élection), entre autres, dans la déclaration des droits de l’homme de 1789 (article 17) nous sommes, certes, libre d’accéder à la propriété, mais si l’on n’en a pas les moyens où est réellement la liberté ?

La Boétie défend l’idée que pour sortir de la servitude, il faut désobéir. Désobéir c’est précisément ne rien faire et c’est précisément le contraire de combattre. C’est se libérer de ses chaînes sans violence et sans agressivité.

Cela me permet de basculer naturellement sur les travaux d’Erica Chenoweth et Maria Stephan qui ont analysé plus de 200 révolutions violentes et plus de 100 campagnes non-violentes. Leurs résultats montrent que seul 26 % des révolutions violentes ont été couronnées de succès, alors que 53 % des campagnes de résistance civile non-violentes ont réussi.
Selon les données de recherche qu’elles ont réunies, toutes les campagnes qui ont obtenu la participation active et durable d’au moins 3,5 % de la population ont réussi (et beaucoup ont réussi avec moins).
Toutes les campagnes qui ont atteint ce seuil étaient non-violentes et l’implication des femmes est aussi un facteur déterminant, même crucial, comme l’histoire nous l’a montrée en Algérie, en Biélorussie ou en Irak.

Mais il faut être prudents, car si on s’intéresse de près à l’évolution des conflits dans le temps, on se rend compte que la part de violence augmente depuis les années 2000. Non pas par une volonté des contestataires, mais bien par une organisation et des provocations du pouvoir, incitant à une dérive violente afin de diviser et de faire peur, sachant pertinemment que la révolte aura de grandes chances de perdre le soutien du reste de la population et ainsi s’essouffler et mourir d’elle même.

 

Lectures utiles :
Étienne De La Boétie : Discours de la servitude volontaire
Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Jean de La Fontaine : Le Loup et le Chien
Erica Chenoweth & Maria Stephan : Pouvoir de la non violence

 

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Publié le :
6 août 2023