8 ans chez Safran…

Bonjour,

Moi c’est Clémence, je travaille en tant que cheffe de produit marketing LEAP-1B et LEAP-1C, la dernière génération de moteurs d’avions moyen-courriers.

C’est un poste qui demande de bien connaître les produits, mais aussi d’être à l’aise avec les clients et de savoir mettre en avant les atouts de nos moteurs. Ça fait 3 ans que je suis sur ce poste. Avant d’en arriver là, j’ai travaillé en tant qu’ingénieure mécanique au bureau d’étude (IBEH à Corbeil). J’y ai beaucoup appris : les moteurs, l’entreprise, la turbine, les contraintes mécaniques dans une pièce, les dérogations, les certifications…

Quelques années plus tard, j’ai découvert le monde des compagnies aériennes (Product Support Engineering), ça a donné du sens à tous les calculs au centième (millième ?) que j’avais pu réaliser. J’ai eu la chance de faire des présentations aux clients, de les rencontrer et d’essayer de comprendre leurs besoins. C’est ainsi que j’ai ensuite rejoint le marketing, avec toujours l’envie d’en découvrir plus sur l’expérience client.

Dans une semaine, je quitte la société. C’est définitif, je ne ferai plus partie des effectifs à partir du 1er juin 2022.

Je sais que dans les indicateurs mon départ sera classé comme volontaire et qu’on dira : “Elle avait un autre projet professionnel.” Oui j’en ai un. Mais ce n’est pas la cause de mon départ.

J’étais pourtant si motivée, passionnée d’apprendre et de découvrir au quotidien. Comment j’en suis arrivée à vouloir quitter la société ? C’est ce que je vous raconte ici. En espérant de tout mon coeur que ce témoignage puisse mettre en lumière ce qui ne va pas et puisse aider d’autres salariés.

L’euphorie des débuts

Je suis arrivée chez Snecma le 1er avril 2014. Fraichement diplômée de mon école d’ingénieure, je terminais tout juste mon stage de fin d’étude à Lille. Je travaillais pour une petite PME qui mettait en place des centrales solaires flottantes. J’adorais ce que je faisais mais les conditions du stage avaient été difficiles, avec 400 euros par mois, je devais donner des cours particuliers 3 fois par semaine pour vivre correctement. Au bout de 6 mois, j’étais épuisée.

C’est donc avec beaucoup d’entrain que j’ai envoyé mon CV à Snecma lorsqu’un de mes amis travaillant en bureau d’études m’a dit que la société cherchait à recruter. Les entretiens se sont très bien passés. J’avais conscience d’être (très) limite sur tout ce qui touchait à l’aéronautique ; pour moi, ce n’était pas une passion mais plutôt un domaine industriel de pointe dans lequel tout ingénieur.e mécanique peut se féliciter de travailler. Par contre, j’étais très motivée, sérieuse, positive et bonne élève. Je savais que j’allais apprendre et que c’est ça qui ferait ma force. L’entretien RH s’est particulièrement bien déroulé. Très vite, la RH m’a exposée tous les avantages : le salaire, le 13ème mois plancher, les congés, l’intéressement, la participation, le CE et pour tous les jeunes embauchés : 5 % d’augmentation pendant les 3 premières années.

Sans avoir été dans de profondes difficultés financières, c’était une bouffée d’oxygène qu’on m’offrait. 2 semaines après, j’ai appris que mon profil était retenu et j’ai reçu une proposition de salaire (environ 39 000 euros annuel brut si mes souvenirs sont bons). Après comparaison avec mes amis d’école et quelques recherches sur internet, je me suis aperçue que c’était assez bien par rapport au marché de l’emploi, surtout avec un gain de 5 % pendant 3 ans. J’ai accepté !

1er avril 2014, c’est mon premier jour ! Une collègue vient me chercher à l’accueil et me présente aux équipes. Je suis très impressionnée et aussi très enthousiaste. Tout me parait SUPER intéressant. La plupart des ingénieurs support production travaillent dans la galerie technique, une description un peu pompeuse pour ce qui est en fait un couloir de la taille d’un énorme hangar où des centaines de bureaux ont été alignés. A ce moment-là bien sûr, la seule chose que j’ai en tête c’est : “Wahou je bosse dans un open space ! Comme les grands en fait !”. Bon, les deux premières semaines se passeront sur un bureau appelé “de passage”. Je comprends vite pourquoi… l’ordinateur est vieux et je suis coincée entre la machine à café et l’imprimante. Il y a toujours quelqu’un pour regarder mon écran ou faire un commentaire. En plus, dès que quelqu’un discute avec moi, que ses intentions soient bonnes ou non, j’entends derrière des rires et des commentaires à peine cachés du style “Ah, regarde il drague la nouvelle !”, “Eh, pas mal la nouvelle, tu nous la laisses après ?”. Cette situation dure trois semaines, ensuite je récupère la place et l’ordinateur de quelqu’un qui démissionne, j’ai enfin le sentiment d’être intégrée. Toujours en période d’essai, je n’ai rien dit mais je me suis toujours jurée que toute nouvelle personne qui arriverait dans mon service serait mieux accueillie, quitte à partager moi-même mon bureau. Et vu comme sont souvent accueillis les nouveaux dans notre société, j’ai eu l’occasion de tenir cette promesse à de multiples reprises…

Malgré cela, je me mets tout de suite au travail. J’ai envie d’apprendre. Je travaille sur la turbine basse pression du CFM56 en binôme avec la collègue qui est venue me chercher le premier jour. Elle est ma “leader technique” et moi l’ingénieure conception. On travaille ensemble mais c’est elle qui gère les plannings et les réunions importantes avec la marque technique, le programme et les chefs. Je me donne à fond, j’ai envie qu’elle soit contente de moi, qu’elle sente que je suis un soutien pour elle. Mais au bout de 3 mois, elle vient me voir et m’annonce son départ pour un autre service. Douche froide, ça marchait plutôt bien. Ma période d’essai n’est même pas encore finie que celle qui me forme à tout part déjà…

En parlant de période d’essai, je n’ai aucune nouvelle. Je suis censée avoir un entretien ? Quelque chose ? Au matin de mon 1er jour du 5ème mois, je badge : j’étais contente, ça y est j’avais vraiment mon premier CDI ! Avec le recul, je me dis que c’est terrible de n’avoir eu aucune discussion avec mes managers ou avec les RHs pour s’assurer que tout se passait bien, que la prise de poste était bonne. Mais sur le moment, j’étais contente !

Les semaines passent et personne ne vient remplacer ma collègue. Je m’habitue à travailler seule et petit à petit j’ai un objectif : c’est moi la leader technique maintenant. Si on embauche quelqu’un, je veux que ce soit l’autre qui soit considéré comme ingénieur conception. Je réalise avec le recul que c’est un peu ridicule car ces dénominations ne représentent rien, pas d’écart de salaire, pas de revalorisation. Mais pour moi à l’époque c’était important.

Lorsqu’arrive les entretiens annuels l’année suivante, je suis satisfaite de ce que j’ai fait, mon responsable aussi. Je dois encore m’améliorer sur plein de choses mais j’ai fait ma place, je sais me débrouiller et je suis devenue leader technique en à peine 6 mois. Tous les indicateurs sont au vert ! Sauf ceux de l’augmentation… la situation n’est pas facile, le ramp-up du LEAP arrive, il faut faire un effort commun : ce sera 3,5 % pour cette première année. Evidemment je suis déçue, OK c’est “déjà bien” par rapport à d’autres sociétés, mais ce n’est pas ce qu’on m’avait promis…

L’année suivante se passe encore mieux, je me sens à l’aise maintenant peut être un peu trop d’ailleurs. Malgré l’arrivée d’une nouvelle personne à former pour travailler avec moi, je me sens sous-alimentée en travail. Je demande sans cesse à mon responsable si des déplacements sont prévus ou même des formations ? J’ai eu quelques cours sur le maillage, les contraintes, les calculs… mais moi je veux voir le moteur, donner un sens aux calculs que je fais, connaître les dynamiques de la société et mieux appréhender nos objectifs.

Les entretiens individuels reviennent : tous mes objectifs sont atteints, j’ai un bon relationnel avec tous mes interlocuteurs, le poste est considéré comme “maîtrisé”. Les augmentations arrivent : 1.5 % ! Aïe… La situation est difficile, le ramp-up du LEAP, tout ça… On est beaucoup de jeunes dans l’équipe et nous sommes tous déjà désabusés par la situation. Nous participons aux mouvements sociaux avec les représentants syndicaux. Pourquoi nous avoir menti ? OK la société n’a pas pris d’engagement à l’écrit, mais nous promettre à tous 5 % d’augmentation et ne pas les tenir ?

Je me souviens cette année-là avoir participé aux Safran Discovery Days, un événement pour les jeunes embauchés afin de découvrir le groupe Safran. Avec un collègue, nous avions cherché la directrice RH pendant une pause. Nous lui avions posé la question des 5 % pendant les 3 premières années. Elle a passé 5 minutes à nous raconter que l’action était en train de beaucoup monter et que cela compensait les 5 % que nous aurions eu. C’est la première fois où j’ai réalisé qu’on se moquait de nous. Comment me parler d’actions à moi qui avait eu une ou deux fois de l’intéressement et de la participation par rapport aux dirigeants et à elle-même ( ? !) qui ont des actions depuis des années ? Et quand bien même, est ce que je vais aller voir mon banquier pour lui dire : “Faites-moi un prêt, regardez j’ai des actions !”.

Peu après l’entretien, mes responsables sentent que je me démotive et me proposent de changer de moteur : du CFM56 au M88. Il y a beaucoup plus de challenges, de sujets en cours et l’équipe est plus grande. Je serais maintenant en charge techniquement de 3 personnes. J’ai une telle soif d’apprendre que je suis ravie de relever ces nouveaux défis. Ça me relance, me redonne de l’énergie. Malgré cela, je commence à me sentir à l’étroit au bureau d’étude. Je n’ai pas de perspectives, pas de formations, pas de rendez-vous RH pour me proposer des plans. Je suis fatiguée de voir des situations se détériorer : certains de mes collègues ne travaillent même plus et personne ne fait rien, ni les managers, ni les RHs. J’en ai marre.

Et c’est là qu’un événement déclencheur me pousse à partir. Un matin comme les autres, je me lève et part aux toilettes. Au moment d’entrer au lieu de pousser la porte, je me la prends dans l’épaule. C’est fermé à clé. Dégât des eaux ? Je vais chercher d’autres toilettes. Fermés… Tout est fermé. J’essaie de trouver quelqu’un, reviens vers les bureaux de mes responsables et croise ma N+2. Elle me dit : “Ah oui, il y a eu une agression hier du coup on a fermé les toilettes, tiens tu peux prendre ma clé, tu pourras la remettre sur mon bureau après ?”. Quoi ? ? ? ? Il faut que j’aille prendre la clé de ma N+2 pour aller aux toilettes maintenant ? C’est ça la solution à une agression sexuelle ? Fermer les toilettes des femmes à clé ? Pas de prévention ? Pas d’explications ? Juste une porte fermée. On pourrait voir cet événement comme une anecdote anodine mais je pense que c’est une bonne illustration de la façon dont les femmes sont considérées.

Les semaines suivantes ne se sont pas arrangées. Nous avons eu le droit d’avoir une clé pour 3 filles de l’open space (heureusement, nous n’étions pas plus nombreuses), “parce qu’on en avait pas fait faire assez”, mais “si vous voulez vous pouvez aller en faire faire vous même !”. Non mais sérieusement ? J’étais stupéfaite du manque d’actions de la société et de mes managers. Je ne sais pas si ça allait être mieux ailleurs, mais ce serait différent et j’avais besoin que ce soit différent.

Je voulais voir le moteur dans sa globalité, apprendre de nouvelles choses. En milieu d’année, j’ai commencé à démarcher le support après-vente. On m’a bien fait comprendre que 2 ans et demi de poste, c’était vraiment juste pour déjà changer. Mais j’en avais besoin, j’ai fini par obtenir l’accord de tout le monde et sans jamais avoir rencontré mon RH de “proximité”, j’ai été mutée en novembre 2016 au support après-vente.

Les années au support client

Le service est en effet en pleine préparation de l’entrée en service du LEAP, nous sommes “en plateau” pour être au plus proche du bureau d’études.

La prise de poste se passe bien, je travaille sur le LEAP-1B qui n’est pas encore en service. Bien sûr en arrivant je n’ai pas d’ordinateur.

Mes débuts au Product Support Engineering se passent bien, j’apprends beaucoup de choses, je suis challengée et à la fois, certaines de mes connaissances acquises sur la turbine me sont utiles pour le fan. Je prends vite une place au sein de l’équipe et tout se passe bien. Mon entretien annuel est également positif. Bien sûr, mon responsable note un besoin de développer mon apprentissage des relations clients mais ma volonté d’apprendre et de progresser est notée. Evidemment, toujours dans la lignée des augmentations des 3 premières années à 5 %, je reçois environ 1 %. Je ne saurais plus dire combien exactement, j’ai arrêté de retenir. Je demande cependant à mon responsable si il est possible de me passer position 2, les conditions telles que je les comprenais à l’époque était : plus de 3 ans d’expérience ou 27 ans révolu. Je n’avais pas 27 ans mais les 3 ans, c’était bon ! Je demande également à bénéficier de la revalorisation de salaire pour changement de poste/direction. Mon nouveau RH me dit qu’il va regarder, qu’il y a beaucoup de critères : éloignement géographique, changement de contenu du poste, changement de direction et temps dans le précédent poste. J’ai pas mal de points pour moi mais c’est assez obscur, comme à chaque fois, on ne connait pas exactement les critères et comment les choses sont attribuées.

Au bout de 6 mois et après de multiples relances, le RH m’annonce que j’ai passé trop peu de temps au bureau d’études pour bénéficier de cette revalorisation. Cette condition annule toutes les autres, c’était à prévoir…Ah et je n’ai pas eu la position 2 non plus, apparemment en fait il faut avoir 3 ans d’expérience ET 27 ans… Du coup dès que j’aurai 27 ans, je passerai position 2… L’année prochaine, c’est promis, je serais position 2 et j’aurai un petit accompagnement salarial.

L’âge détermine tout, mais l’expérience visiblement pas tant que ça… J’ai d’ailleurs eu un de mes rares entretiens avec mon RH de proximité à cette occasion. Je le revois encore faire ses schémas au tableau pour m’expliquer qu’ils ne peuvent pas me faire passer trop tôt en position 2, parce qu’ensuite c’est 10 ans maximum dans cette position et ils seront obligés de me passer 3A. Mais si je n’ai pas le salaire minimum, alors ils vont être embêtés… du coup il faut attendre. C’était lunaire… Je me souviens être sortie de cet entretien triste et complètement démotivée.

Néanmoins l’année suivante se passe plutôt bien, je me sens de plus en plus à l’aise sur mon poste, peut-être encore un peu trop encore une fois ? Mon entretien individuel de début d’année le reflète et mon responsable commente que “le besoin exprimé de plus de challenge au quotidien est en adéquation avec les capacités démontrées”. Il propose aussi en axe d’amélioration comportemental de poursuivre l’acquisition de l’expérience de management transverse via un projet green belt par exemple. A cette époque, impossible de passer à côté du green belt. Tout le monde en parle et il est “fortement” conseillé de faire un green belt pour obtenir la position 3A. Comprenez : pas de 3A si tu n’as pas de green belt !

A ce moment-là, j’ai le temps, je gère plutôt bien mon poste, je me dis que c’est l’occasion. Je cherche des sujets, profite des discussions avec certains collègues pour comprendre leurs besoins, interroger les difficultés… Je mets le point sur un processus qui est vraiment douloureux pour tout le monde : le TTGF = Time To Get a Fix. Pour la faire courte, c’est un processus qui permet de régler des problématiques rencontrées en flotte par les moteurs, tout en prenant en compte l’aspect communication vers les clients et délais. Au global c’est un processus plutôt clair mais avec beaucoup d’intervenants (Programme, marque technique, support, bureaux d’études, approvisionnement…), beaucoup d’outils différents (sharepoints, présentations…) et beaucoup d’étapes, sans que celui qui orchestre tout ça ait autant de temps et d’énergie qu’il le faudrait pour le faire.

La situation face au TTGF suscitait de l’incompréhension et beaucoup d’interrogations. Il y avait donc clairement un sujet ! Je l’ai proposé avec le soutien de certains de mes collègues faisant partis du TTGF et ayant eux-même déjà réalisés un green belt. Le sujet a intéressé mais malheureusement… selon les règles, le green belt doit concerner uniquement un service. Dès que le sujet devient plus transverse, c’est un black belt… Deux black belts ont donc pris le sujet. Le sujet étant vaste, il a été décidé de faire une journée de séminaire. L’idée était qu’à la sortie de ce séminaire, plusieurs sujets de green belts voient le jour comme faisant partie du grand black belt. Les responsables black-belts me proposent de participer à la préparation et avec joie je leur transmets toutes les données déjà préparées. Au départ, tout se passe bien, nous préparons la journée de séminaire ensemble, elles ont les méthodes tandis que je leur apporte la connaissance du processus. A l’approche de la journée cependant, je sens que l’ambiance change, je n’ai plus de nouvelles. Je suis toujours invitée mais plus rien ne m’est partagé. Je demande mais tout le monde me dit de ne pas m’inquiéter.

La journée de séminaire arrive. C’était vraiment super. Un peu étrange au départ car aucun des acteurs n’est “à mon niveau”, vous entendrez par là aucune personne en dessous du 3A. On est plutôt sur des responsables de marque, des chefs… Ça ne me pose pas de problème et en réalité je suis presque flattée… mais je sens quand même que ce n’est pas tout à fait normal. Néanmoins je profite de la journée, nous travaillons, proposons plein d’idées, c’est super constructif.

Après le séminaire, je sens réellement que je suis mise de côté. Je n’ai absolument aucune nouvelle. Pas de débrief, je ne suis pas dans les mails pour parler des suites du projet… on me dit de patienter, je n’ai rien. Je ne m’avoue pas vaincue, je vais voir mes responsables, je vais voir les responsables black belts. Des semaines plus tard et devant mon insistance, le “responsable des green belts” pour le support après-vente me propose un rendez-vous dans son bureau. Il m’explique que tout ça c’était du bon travail mais que je ne peux pas faire de green belt. Il m’explique : il y a une liste de personnes qui doivent faire des green belts et en parallèle, une liste de sujet. Ensuite, les deux sont associés. Je suis dans la liste bien sûr, mais pas en haut, du coup je dois attendre mon tour. Par contre, je suis remerciée d’avoir produit des sujets. Un ou deux jours après, je reçois une annulation Outlook des formations green belts auxquelles j’étais inscrite. Un de mes collègues est appelé car une place s’est libérée pour la formation… il est venu se confondre en excuse d’avoir pris ma place…

Résultat de toute cette histoire, personne n’a jamais fait l’un des green belts issu de cette journée de séminaire, le processus est toujours le même, un outil de suivi a été créé mais fait doublon avec des fiches sur le sharepoint et l’ensemble est toujours source de douleur pour les acteurs. Je n’avais pas forcément envie de faire un green belt avant que mon responsable ne suggère l’idée. Ce que je voulais vraiment c’est améliorer quelque chose, apporter ma pierre à l’édifice pour que nous soyons meilleurs dans le traitement des problématiques en service du LEAP. J’ai même proposé de continuer le projet sans green belt, je voulais avant tout travailler sur un projet intéressant. Le plus dur dans tout ça c’est que je m’étais déjà beaucoup investie dans le sujet et que je n’ai même pas eu le droit d’être ne serait-ce que dans les comptes rendus du séminaire pour connaître les conclusions de la journée.

Suite à cet épisode, mon responsable identifie clairement que j’ai besoin de défis. Je travaille sur le module fan du LEAP-1B et je manque de challenge. Comme le pole se porte plutôt bien, il me propose de changer de périmètre pour passer à la gestion des équipements. J’ai la sensation de revivre mon passage du CFM56 au M88. Très habituée à la turbomachine, je ne connais absolument pas le monde des équipements, je me dis : Banco ! Je vais apprendre plein de choses !

La transition se passe bien mais je travaille énormément. Je me rends vite compte que les collègues qui sont actuellement sur le périmètre font le minimum pour que tout se passe bien mais ont laissé plein de choses de côté. Sur les équipements, il y a plein de signaux à surveiller : les déposes, les défaillances, les renvois… Je m’aperçois que rien n’est fait, que certains de mes collègues pourtant en poste depuis des années ne connaissent pas la définition de certains termes… Je reprends tout en main, je renforce les communications avec les équipes programmes et les bureaux d’études, j’assainis des situations qui nous valaient beaucoup de reproches. Je subis clairement la situation avec mes collègues, surtout un en particulier. Je le couvre même dans des situations où je ne le devrais pas comme par exemple lorsque le front office l’appelle à 16h pour lui demander de prendre en charge un AOG (Aircraft On Ground – urgence client), qu’il dit OK, raccroche sans prévenir personne et rentre chez lui. L’AOG dort ensuite 1 heure dans sa boite mail jusqu’à ce que le front office identifie que rien ne se passe et m’appelle pour reprendre le sujet… Je me retrouve donc à démarrer un AOG de 4 heures à 17h et avec une heure perdue pour le client…

D’autres situations viennent rendre ma vie difficile. Le sexisme qui règne devient difficile à supporter. Dès qu’une femme passe dans l’open space, j’entends des remarques : ”Ah l’avion de chasse !”, “Eh regarde la petite !”, “Eh t’as vu comment elle est habillée aujourd’hui ?”. Si on ajoute à ça les remarques sur les femmes qui ne savent pas conduire et les rires graveleux, la situation devient insupportable. Mais ce n’est pas tout. Depuis que je suis en poste, je suis gênée par le comportement de deux hommes. Il arrivait parfois que je reste travailler un peu tard et que je me retrouve avec l’un deux à mon bureau me demandant comment j’allais, me complimentant sur mon travail. Ca peut paraitre anodin, mais ça ne marche pas si je suis la seule avec qui ils le font, à 18h quand tout le monde est parti et que je n’ai pas de rapport direct avec eux dans le travail. J’ai eu aussi beaucoup de remarques de leurs parts : “Ah tu es bien habillée aujourd’hui !”, “Oh tu as l’air fatiguée, tu n’as pas bien dormi ?”, ils me retenaient la main quand je leur disais bonjour… Ils sont toujours restés sur cette limite qui ne me permet pas de m’énerver ouvertement mais qui me met profondément mal à l’aise. J’en parle à mes deux autres collègues féminines de l’équipe qui confirment que leurs comportements les dérangent tout autant que moi. Nous choisissons d’en parler à notre responsable lors de notre entretien.

Je ne veux pas créer de scandale ou faire une grande dénonciation. Je demande donc à mon responsable d’agir pour prévenir avant que je n’arrive même plus à venir travailler. Il a réagi peut-être un peu trop, c’était pour me protéger et je comprends mais ça a été un peu violent. Il a fait remonter l’information à son supérieur et ensuite tout le monde a été au courant. J’ai eu droit à : “Ah ben oui mais si on peut plus rien dire aussi !” de la part de mes collègues qui ne pouvaient plus faire de commentaires sur toutes les filles qui passaient, et j’ai aussi eu des remarques de personnes plus haut placées qui me disaient que quand même, j’abusais un peu, que j’allais nuire à leurs carrières… Eux-même ont arrêté de me parler, même professionnellement, ce que je trouve tout à fait puéril. L’histoire s’est arrêtée là pour eux, ils ont eu un petit rappel à l’ordre. Moi je suis restée avec la sensation d’avoir fait ce qui était juste, ne serait que pour les femmes qui travailleront avec eux à l’avenir, mais au final c’est plutôt moi qui ait souffert dans l’histoire… J’ai appris bien plus tard que j’étais loin d’être la seule à avoir parler sur ce sujet.

La période des augmentations arrive et avec elle mon enveloppe : 50 euros. Je suis surprise car je devais passer niveau 2, et le PSE a coutume d’accompagner un peu ce passage avec une augmentation un peu supérieure. J’en parle à mes collègues car je crois que le silence est le meilleur ami de la direction pour nous faire passer ce qu’elle veut. L’une de mes collègues est passée niveau 2 et a reçu plus de 100 euros. Je suis stupéfaite et demande des comptes à mes responsables. Ce qui se passe ensuite est encore une fois complètement lunaire. En fait, ils ont oublié que c’était l’année de mon passage niveau 2, c’est “bête” parce qu’ils avaient le budget en plus !

Comme j’avais déjà plus de 3 ans d’ancienneté et que j’ai eu 27 ans en août, je suis passée automatiquement niveau 2 en septembre, sur la fiche de paie du mois d’après. Du coup au moment d’attribuer les augmentations, mes responsables ont oublié nos conversations de l’année passée et ont pensé que j’étais déjà niveau 2 depuis longtemps. Ils ont d’ailleurs remarqué qu’en 2015 j’avais eu une augmentation notable de 3.5 % qui devait y être associée. Alors que PAS DU TOUT, c’était l’augmentation de 5 % que je devais avoir la première année…

Je trouve la situation d’autant plus injuste que ma collègue a été poussée niveau 2 : elle avait 27 ans révolu mais pas les 3 ans d’ancienneté. Pour elle, il a été possible de pousser pour qu’elle passe niveau 2. Mais moi, avec 4 ans d’ancienneté sous prétexte que je n’avais pas 27 ans c’était impossible. Où sont les priorités ?

Bien sûr, je fais tout pour lutter contre la situation. J’obtiens un entretien avec mon N+2 et mon RH de “proximité”. Je suis en pleurs du début à la fin. Je fais tout pour que tout le monde soit satisfait de mon travail et tout le monde le reconnait. Je me suis fait voler un projet auquel je tenais, j’ai pris un périmètre différent qui m’a beaucoup challengé, j’ai considérablement amélioré la situation et ils ont “oublié” mon augmentation ? ! Je sens que mes responsables se sentent un peu coupables mais ils ne peuvent rien faire. Personne ne peut jamais rien faire, j’ai l’impression que c’est la règle dans la société. La solution : “nous te rattraperons l’année prochaine, mais tu sais, tu es déjà haut dans les courbes…”. Ça, c’est ce que j’entendrais le plus à l’avenir : les courbes ! La légende des RHs de Safran Aicraft Engines… les couuuuurbes. Personne ne les voit, personne ne sait ce qu’elles contiennent, mais elles sont un bon moyen de se cacher… Spoiler alert sur la fin de l’histoire : l’année suivante j’aurai 10 euros de plus sur mon augmentation… super !

L’entretien annuel de l’année suivante sonne le glas de ma carrière au PSE. Mon responsable est satisfait mais il me fait malgré tout une remarque : je dois faire attention à mieux travailler en équipe. Moi ? qui essaie toujours d’embarquer tout le monde malgré toutes les mauvaises volontés ? qui ne me met jamais en avant ? qui couvre tout le monde ? Il a une chose à me reprocher, et c’est quelque chose que moi je lui ai reproché. Un jour, toute mon équipe reçoit un mail de sa part. A l’intérieur, il y a un classement de chaque membre de notre équipe en fonction de sa “qualité” de réponse aux cas CSC (questions clients). Les critères sont : la rapidité, si nous avons coché toutes les cases et appuyé sur tous les boutons (croyez-moi, le logiciel SAP est une véritable usine à gaz !) ou la qualité de notre anglais… Rien évidemment sur le contenu technique ou la satisfaction du client, juste de l’administratif. Mais c’est loin d’être le pire. Dans le mail, chaque membre de l’équipe est classé, l’un par rapport à l’autre. Est-ce que c’est les mondiaux d’athlétisme ou le support client d’une société de moteurs d’avions ? Quand j’ai reçu ce mail, je suis tout de suite allée voir mon responsable en lui expliquant que c’était inadmissible d’envoyer un mail de ce genre. Il n’est pas possible de classer ses effectifs les uns par rapport aux autres comme ça et de le diffuser à tout le monde. Le management des années 60, c’est fini. D’autant plus qu’il n’y avait aucune action d’amélioration identifiée qui aurait pu montrer que ce mail était un peu utile… La seule chose qu’a retenu mon responsable de cet épisode c’est : “tu t’es énervée à cause de cet email parce que pour une fois tu n’étais pas la première, il faut savoir gagner en équipe”. J’étais réellement folle de rage. En plus, on m’avait déjà clairement fait comprendre que je ne pourrais pas passer manager tout de suite, que j’étais trop jeune… et il y a des choses comme ça qui pouvaient arriver ? Je ne comprenais rien.

Suite et fin

Une opportunité se présente à moi, un poste au marketing se libère. La direction commerciale est un secteur très peu connu au sein de la société mais j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer la responsable du marketing du LEAP-1B. Au PSE, j’ai eu la chance de faire des meetings clients et de présenter en anglais devant des audiences de 100 à 150 personnes. J’avais très envie de développer mes compétences sur ce terrain, améliorer mon anglais et travailler dans un univers plus challenging.

Les entretiens se passent bien. La RH tique un peu car je suis en poste depuis moins de 3 ans (2 ans et 9 mois). Elle me dit qu’il va falloir que je me stabilise, que je pourrais passer pour quelqu’un qui n’est pas fiable… Je ris encore quand je pense qu’elle venait juste d’arriver et qu’elle est partie l’année suivante. 1 an c’est plus stable que 2 ans et 9 mois ?

Malgré un biseau de 4 mois, la prise de poste se passe bien. C’est compliqué car ma prédécesseure m’a laissé un mail de 3 pages comme seul testament… Heureusement, je connais déjà les interlocuteurs grâce à mon précédent poste et j’aime le challenge. Bonne surprise, l’augmentation liée à ma mobilité est validée. Il y a peu de choses qui sont positives, mais quand il y en a je me dois quand même de les noter !

Au marketing, nous sommes un peu isolés. L’ensemble de la direction commerciale se situe dans un bâtiment, tandis que nous sommes au 3e étage d’un autre bâtiment. Personne (ou presque) ne vient jamais nous voir, pas même notre responsable, N+2. Au début, c’est agréable de se retrouver dans un environnement plus calme que de grands open spaces avec du passage constant. Mais là, nous sommes carrément complètement isolés… pas de juste milieu !

Au travail, tout se passe bien. Je m’entends très bien avec l’équipe et avec ma responsable. Je pars en mission, je fais des présentations, j’apprends beaucoup. Je suis très bien notée pendant mes entretiens. Je suis encore très loin du 3A. Ma responsable m’indique d’ailleurs que la moyenne pour passer 3A est plutôt vers 35/37 ans. Elle a bien changé cette moyenne, car toutes les personnes de son âge que je connais ont plutôt obtenu leurs 3A vers 31/33 ans…

Un autre événement va cependant venir tout bouleverser et m’éloigner de ces réflexions d’avancement : le Covid-19. Bien sûr, Safran n’est en rien responsable de cet événement, sur certains points je comprends la panique des événements, sur d’autres je n’adhère pas du tout aux idées.

Du jour au lendemain, nous sommes tous en télétravail. Même si je n’en avais jamais fait, la transition se passe plutôt bien, je suis très indépendante et mis à part les missions que je regrette, mon travail s’adapte complètement à ce nouveau mode de fonctionnement. Une autre ombre vient s’ajouter au stress lié à la crise sanitaire : le chômage partiel ou son petit nom chez Safran, le TDCO. Sa mise en place a été particulièrement dure et choquante. Toutes les activités non essentielles ont été arrêtée. Est ce qu’on est une activité essentielle ? Est-ce que on est utile ? Pour ma part, j’ai toujours gardé de l’activité mais d’un mois sur l’autre, parfois d’une semaine sur l’autre, tout pouvait changer et c’est stressant. Certains de mes anciens collègues ne travaillaient qu’une semaine sur 3, d’autres ont été arrêtés 2 mois. Quel est l’estime de soi quand on voit que son activité peut s’arrêter du jour au lendemain ? Je ne conteste pas la nécessité du dispositif mais l’accompagnement n’a pas été là. La société n’a pas aidé individuellement les personnes qui ont été arrêtées. Les communications étaient souvent très tardives, du vendredi 16h pour application la semaine suivante… pas d’accompagnement par les RH, pas de suivi… J’ai d’ailleurs appris que les RHs de proximité étaient mobilisés pour faire les feuilles d’autorisation de sortie pendant le Covid quand nous ne pouvions pas nous déplacer comme nous le voulions. C’est vraiment ça la valeur ajoutée d’un RH ?

Le chômage partiel impacte aussi tous les salaires du personnel au forfait heures, soit les personnes les plus jeunes ou avec les salaires les plus bas ; pendant que tous les forfaits jours touchent leurs salaires à 100 %… Cette situation sera modifiée par la suite mais sur le moment c’est très dur à accepter. Bien sûr, les augmentations sont bloquées, la prime d’intéressement est supprimée, les salariés en France font du chômage partiel et ceux de l’étranger ont vu des milliers de postes supprimés. Et là, une communication de début 2021 me fait complètement basculer : les 800 plus hauts cadres vont se partager 41 millions d’euros et les actionnaires toucheront 180 millions de dividendes.

Est ce que la société se rend compte de ce qu’elle fait ? Est ce qu’elle se rend compte de sa responsabilité sociale dans la société plutôt que de vouloir s’enrichir à tout prix ? Il y a des milliers d’hôpitaux qui ont besoin de moyens financiers pendant la crise, des écoles qui ont besoin de subventions… et la société utilise l’argent de l’Etat pour financer le chômage partiel alors qu’ils ont assez d’argents pour s’accorder des primes et des dividendes ? Je ne me reconnais absolument plus dans les valeurs de Safran. Je suis entrée dans la société pour être ingénieure, pour travailler sur de la haute technologie et m’y épanouir, j’ai l’impression que tout est dicté par l’argent et qu’il faut constamment luter.

Ma décision est prise : je veux partir.

En parallèle de mon travail chez Safran, j’ai une passion qui prend de plus en plus de place : l’illustration. J’ai le sentiment qu’avec du travail et la bonne stratégie, je peux réussir à faire de ce plaisir une activité à part entière. En 2020 et début 2021, Safran incite fortement au départ : un Accord de Transformation d’Activité est d’ailleurs en cours et jusqu’en avril 2021, des communications nous incitent à partir pour création d’entreprise, formation ou départ à la retraite anticipée. C’est à ce moment que je prends ma décision, je vais demander à partir pour création d’entreprise.

Je télécharge le dossier, il y a beaucoup à faire : études des concurrents, du marché, analyse financière sur plusieurs années, besoin en formations… Je travaille, remplis, réalise mon business plan. C’est un gros travail mais début juin mon dossier est prêt. Je pars 3 semaines en vacances pour me laisser le temps de décanter les informations et être sûre de ma décision.

Pendant mes vacances, je suis 100 % sûre. J’apprends en effet par mes collègues que je ne suis pas augmentée cette année mais qu’eux si. Les règles ont été les suivantes : augmentation pour les promotions et pour les plus jeunes, peu importe les résultats et la motivation de chacun. C’est ça la règle cette année. Même mon collègue plus jeune qui a reçu l’augmentation ne comprend pas que je ne sois pas augmentée et lui si… Et le pire dans cette affaire c’est de l’apprendre par mes collègues. Tout le monde était au courant avant mes vacances, ma responsable aurait pu me le dire. Et même à mon retour, elle ne me dit rien, j’attends qu’elle vienne au moins m’en parler pro activement pour m’expliquer mais rien…

A mon retour le 19 juillet 2021, j’annonce donc à ma responsable ma décision de partir et de proposer mon dossier dans le cadre de l’ATA, à l’oral. L’accueil de ma décision est mitigé car elle souhaite me voir rester mais elle reste ouverte à la discussion si je forme un ou une remplaçante.

Mes ennuis commencent à partir du lendemain. Le 20 juillet au matin, j’ai une réunion téléphonique avec ma RH de proximité. Elle refuse tout net de proposer mon dossier et de l’envoyer en commission, sans l’avoir consulté car je ne lui avais pas encore envoyé à ce moment-là. J’appelle ensuite mon N+2 pour lui en parler. Il m’indique que si je veux réaliser mon projet, je devrais plutôt démissionner et aller voir des banques. Je tente de lui expliquer que j’ai passé des années au sein de la société, que j’ai toujours eu de très bons résultats mais que je ne me sens plus en accord avec les décisions de la société, que j’aimerai avoir une chance que celle-ci m’aide à rebondir. Il m’a répondu que Safran, “c’était pas la charité”. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que je suis une sorte de mendiante ? Il a aussi rajouté qu’il ne fallait pas que je me vexe car je n’ai pas eu d’augmentations car lui non plus n’en a pas eu ! (Vous conviendrez que sa situation n’a rien à voir dans cette conversation… et qu’en plus OK il n’a pas été augmenté, mais il est passé hors statut, preuve en est dans sa nouvelle DS qu’il promène à la place de sa Porsche). Je suis en pleurs, je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’ai juste demandé à candidater à un accord qui était en cours, sans même avoir la prétention d’obtenir un oui, et je me retrouve confrontée à toute cette violence et sans pouvoir même présenter mon projet. Je suis dévastée. J’envoie malgré tout mon dossier ATA à mes responsables pour consultation, je veux aller au bout.

Le 22 juillet, j’ai de nouveau ma RH au téléphone. Elle m’indique que son refus d’envoyer mon dossier n’est pas lié à elle mais c’est le siège de Safran Aircraft Engines qui demande de ne plus envoyer de dossiers. Elle comprend que la situation avec mon chef soit compliquée mais défend ses paroles, m’expliquant qu’il n’est pas formé comme elle peut l’être à répondre à des situations comme celle-ci (pas formé alors qu’il est à ce poste depuis plus de 10 ans ?). A ce moment-là, je lui fais encore confiance et lui explique que mon supérieur ne se soucie pas de nous, qu’il ne vient jamais nous voir, que nous n’avons aucun contact avec lui, qu’il a une apprentie qu’il installe dans nos bureaux et dont il ne s’occupe pas, qu’il fait simplement ça pour toucher la prime d’apprentissage chaque mois. Elle me dit que non, que de toute façon il ne reprendra pas d’apprenti.e et en tant qu’hors statut il ne touche pas de prime. Alors oui, maintenant qu’il est hors statut, il n’a plus de prime donc plus d’apprenti.e, mais avant il en avait un ou une en continu ! La dernière en date était installée dans les bureaux du marketing. Pendant toute la durée du confinement, elle a été laissée à l’abandon sans travail à faire, il a dû l’appeler 5 fois grand maximum. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que je ne pouvais absolument pas faire confiance à ma RH car 30 minutes après avoir raccroché, je reçois un message de l’apprentie mon n+2 (dont je m’occupais beaucoup en substitut) pour me dire qu’il l’a appelé pour lui demander de faire quelque chose. Elle n’a pas de nouvelles depuis 2 mois et pile au moment où je le dénonce, il l’appelle ? La coïncidence est trop forte ! En plus, pour lui demander de faire quelque chose qui se cherche sur Google et qui a déjà été réalisé 1 an plus tôt…

L’après-midi, je fais malgré tout un mail formel à ma RH pour lui demander des explications formelles. Pourquoi le siège demande-t-il à ne pas envoyer de dossier alors qu’aucune communication n’a été faite aux salariés comme quoi l’ATA n’est plus d’actualités ? Humainement c’est très grave, d’autres personnes comme moi vont se lancer dans l’écriture de ce long dossier (le mien fait 30 pages), vont s’investir personnellement dedans, pour au final qu’il ne soit même pas consulté ? Accepté c’est autre chose, mais consulté ? !

Le 23 juillet, j’ai rendez-vous avec la médecine du travail. Je tiens à alerter sur mon état car je ne vais vraiment pas bien, je suis très agitée, je pleure tout le temps, je n’ai jamais vécu ça. Cette entrevue est un désastre. Le médecin me demande de plutôt consulter mon médecin personnel, me pose des questions sur le contenu de mon dossier ATA, défend la direction en disant qu’ils ne peuvent pas laisser partir tout le monde et me dit que je devrais plutôt apprendre à gérer les conflits et à maîtriser mes émotions. En 8 ans, je n’ai jamais eu un seul arrêt de travail, je n’ai jamais RIEN demandé et je dois maîtriser mes émotions ?

Je vais être arrêtée une semaine. Pendant mon absence, j’ai reçu un message de ma RH qui réaffirme son refus, cette fois par écrit, en m’expliquant que mon départ engendrerait un plan de remplacement trop complexe. Qu’est ce que ça veut dire ? J’apprends alors la notion de “secteurs sous tensions”. Dans les “secteurs sous tensions”, les dossiers ATA ne sont plus acceptés. Evidemment aucune définition ne nous ait donné ou vaguement : ce sont les secteurs où il est difficile de recruter… En gros, tous et aucun… Vu qu’aucun poste n’est ouvert pour essayer de me remplacer, je ne vois même pas en quoi il est difficile de recruter ou non.

En août, il ne se passe rien. En effet, ma responsable, mon N+2 et ma RH sont tous en vacances. En septembre, j’attends qu’ils reviennent vers moi mais rien… Ils attendent sûrement que la situation se règle d’elle-même. Mi-septembre je décide donc de contacter les syndicats. La CGT a été la première à réellement me soutenir et je la remercie mille fois pour ça. Sans eux, je pense que j’aurai beaucoup plus souffert. Ainsi le 21 septembre, j’ai un entretien avec le responsable de l’établissement et la CGT. Sur la forme, il condamne ce qu’il m’a été dit, mais sur le fond il est totalement d’accord avec mes responsables : s’ils ne veulent pas que je parte, ils ont tout à fait le droit de refuser la présentation de mon dossier. Je dois même m’estimer heureuse, grâce à eux, je n’ai pas l’espoir que mon dossier parte en commission et qu’il soit refusé, j’ai la réponse tout de suite. J’essaie de lui faire comprendre qu’encore une fois, humainement c’est horrible. J’ai passé des heures sur ce dossier, il s’agit de ma vie. Il ne peut pas juste être refusé sans même être consulté, c’est horrible.

Le 5 octobre, j’ai ensuite un entretien avec ma RH et son responsable, ainsi que la CGT. Ma RH nie tout ce que j’ai dit. Elle n’a pas refusé d’envoyer mon dossier, elle l’a fait parvenir aux RHs en centrale qui l’ont refusé (évidemment elle n’a pas de preuve, ni échange de mails). Je tente d’avoir des explications mais ils restent sur cette version des faits, me disant au passage que je suis “trop émotive”.

Je ne supporte plus la situation, ma médecin m’arrête et cette fois plus longtemps. Pour moi, c’est horrible, je me sens faible de ne plus travailler, je n’ai plus goût à rien. Ce n’est pas comme ça que je considère ma vie et ma carrière professionnelle.

Le 10 octobre, 3 mois après ma demande, je reçois une réponse officielle pour le refus de mon dossier ATA avec pour raison : la reprise de l’activité “nous obligerait à recruter un profil similaire au votre”. Evidemment qu’il faudrait recruter un profil similaire au mien. Reprise ou pas ! Sinon ça veut dire que mon poste ne servait à rien ! Le principe de l’ATA n’était pas de faire partir les profils que la société voulait faire partir mais laisser partir assez de personnes pour autoriser les mobilités. En plus, à cette époque nous n’avions toujours pas de communication de reprise, toujours du chômage partiel et aucun poste n’était ouvert pour recruter quelqu’un à ma place.

Je reprends le travail le 3 novembre. Grâce à des heures de psychothérapie, j’ai réussi à prendre du recul, à me détacher de ce qui m’avait plongé dans cette dépression. Mais clairement, je n’ai plus envie. J’ai besoin de sens pour travailler, pour servir mon entreprise j’ai besoin d’être impliquée. J’ai perdu toute confiance. Ça me tue de le dire mais je fais le minimum, je réponds aux mails qui me sont directement adressés mais je ne fais plus rien de proactif. Je me rends compte que j’en ai trop fait, que j’aurai dû plus me laisser vivre, que j’étais trop impliquée dans mon travail. Mais en même temps, ce n’est pas ma façon de faire. J’aurai été malheureuse aussi.

Le 9 décembre 2021, je demande la rupture conventionnelle par mail à ma RH. S’en suit une longue attente et de très nombreuses relances qui me mèneront à la signature de ma rupture conventionnelle le 11/03/2022 au minimum des indemnités de licenciement légale et avec un délai de plus de 3 mois et demi. Il m’aura encore fallu 6 mois de décembre à fin mai pour me sortir de ça… C’était très compliqué, je n’avais jamais de nouvelles, personne ne répondait à mes relances, j’étais dans le doute, parfois je ne savais même pas si ma demande avait été reçue ou lue. A la signature de ma rupture conventionnelle, le responsable d’établissement arrivera même à me faire un reproche sur ces relances, m’assurant même que je devrais remercier ma RH de proximité car c’est grâce à elle si j’ai obtenu la rupture conventionnelle. Vous voyez, c’est ça la “force” de Safran, beaucoup de choses sont promises, vous n’obtenez rien, finalement on vous donne un peu et du coup c’est à vous d’être reconnaissants…

Soulagée par cette décision

Une fois ma rupture conventionnelle signée, je suis soulagée : je vais enfin sortir de tout ça ! Je commence à l’annoncer autour de moi et l’une de mes anciennes collègues s’intéresse à mon poste. Elle passe les entretiens et est rapidement acceptée. Après une négociation avec son service actuel, elle peut nous rejoindre et nous avons ainsi 2 mois de biseau pour que je lui passe le relais. Pour un poste à très haute difficulté qui devait nécessiter un plan de recrutement, j’ai trouvé quelqu’un en 1 semaine… Résultat : jamais mon poste n’a été proposé sur e-talent, c’est quand même un comble.

Actuellement, il n’y a pas de remplaçant.e pour le même poste que le mien sur le LEAP-1A. Mais personne n’est actif pour chercher. Le poste a été mis en ligne en octobre 2021, il n’a même pas le bon intitulé (ce n’est même pas marqué “Marketing” dans le titre) et n’est jamais actualisé. Je suis certaine qu’en diffusant un peu l’offre et en mettant plus en avant la direction commerciale au sein de Safran Aircraft Engines, nous aurions plein de candidat.es. J’en suis persuadée car je viens de l’extérieur de la direction et je sais à quel point elle est méconnue.

En parlant de politique de recrutement, celle menée par Safran actuellement parait complètement irréelle et extrêmement court-termiste. Pendant la crise, des milliers de postes sont supprimés à l’étranger et les départs en France sont très fortement encouragés avec l’accord de transformation d’activité signé jusque fin 2021. Début 2022, le groupe annonce 3000 embauches en France et 12 000 à l’étranger ! Comment est -ce possible ? Pourquoi avoir supprimé tous ces postes ? Pourquoi avoir incité toutes ces personnes qui avaient de l’expérience à partir ? Je ne sais pas si les dirigeants de la société se rendent compte que les employés comprennent. Dans les repas que j’ai fait récemment tout le monde en rigole, même si c’est amèrement. Personne ne comprend comment on peut vouloir réduire autant les effectifs, pour les re-grossir d’autant l’année suivante.

Quand je suis rentrée chez Snecma en 2014, j’avais l’impression que les salariés avait une certaine forme d’adhésion aux politiques de l’entreprise. Bien sûr, il y avait des luttes mais les employés étaient passionnés par le produit fini et soutenaient globalement la direction. Je vois une telle différence avec maintenant. J’ai vraiment l’impression que les dirigeants sont à des années lumières de nos préoccupations et que toute la société est gérée par l’argent. J’en ai d’ailleurs discuté avec des personnes présentes depuis encore plus longtemps que moi dans la société. Le constat est encore bien plus flagrant pour elles.

Depuis quelques années, chaque année c’est le même discours : “cette année n’a pas été facile, mais l’année dernière sera encore plus difficile”. Le ramp-up du LEAP, le grounding du MAX, le Covid, maintenant le re-ramp-up… tous les ans, nos résultats sont positifs, souvent des records de gains sont battus, mais l’année prochaine sera difficile…

Je pense que les salariés ne sont pas aveugles. Ils travaillent de moins en moins par passion du produit et envie du travail bien fait. Suite à l’annonce de mon départ, j’ai reçu des dizaines de messages qui disaient rêver de vouloir faire comme moi. Si ils avaient eu une passion, ils rêveraient de partir. Comment revendiquer une entreprise forte et innovante, si les salariés n’ont pas eux-même envie de dévorer le monde ? Ce ne sont pas les innovations participatives et les quelques goodies proposés qui vont pousser les personnes à s’investir.

Nous avons besoin de reconnaissance et en interne je n’ai jamais rien eu. J’ai toujours eu de très bons retours par mes supérieurs, mais cela ne constitue finalement que des petites tapes sur l’épaule. J’ai d’ailleurs appris quelque chose de très troublant sur les notations. Lors des discussions avec ma RH pendant la période sur l’ATA, elle m’a dit à un moment qu’on lui avait rapporté que “je travaillais bien mais qu’on ne lui avait jamais dit que je cassais la baraque !”. J’ai été très choquée par ces propos.

D’autant plus que ma responsable me note extrêmement bien et que dans la 9box, je suis à 3X3 (comportement et travail) depuis 2 ans. Je me renseigne auprès d’amis qui me confirment que 3×3, c’est une notation qui casse la baraque et que quelqu’un qui est noté comme ça ne peut pas avoir ce genre de remarque. Je décide donc de creuser un peu…

En fait, je suis notée 3×3 par ma manager. Mais derrière, le N+2 vient harmoniser ces notes avec la RH. Et cette réunion a lieu sans ma responsable qui ne peut pas nous défendre, donc c’est mon N+2 qui décide, celui à qui je parle une fois par an, qui ne nous connait pas, ne sait pas ce qu’on fait et ne vient jamais nous voir… parfait ! Bien sûr, cette note n’est pas redescendue, comme ça moi je crois que je “casse la baraque” avec mon 3X3 mais en fait pas du tout…

Ce système est extrêmement vicieux. Quand je suis arrivée chez Safran, il y avait le système qui s’appelait “l’interclassement”. Les salariés étaient notés les uns par rapport aux autres, c’était secret et voilà… C’était déjà limite mais là imaginez le nouveau système : tout le monde croit que c’est clair, qu’il y a des critères, mais en fait c’est secret. C’est bien pire que la situation précédente !

J’ai également profité de mon départ pour ouvrir les discussions sur les salaires avec mes amis rencontrés en école d’ingénieur (travaillant hors Safran). Je pense que la société ne se rend pas compte à quel point elle est loin des standards du marché. Avec 44 500 euros brut annuel, moi qui suit “haut dans les grilles” selon ma RH, je suis la moins bien payée de tous les anciens élèves que je connais. Même des personnes ayant commencé à 34 000 (contre 39 000 pour moi) sont maintenant à 48 000. Je ne parle pas de métiers dans l’informatique en plein Paris ou à la Défense. Je parle de métiers d’ingénieur en génie civil ou en mécanique dans la banlieue de Lyon ou à Montpellier. Même si je sais que les recruteurs de Safran utilise l’argument de la province pour proposer des salaires bas (ce qui n’est pas vrai…), ce qui est proposé est même en dessous des standards hors Ile de France !

Conclusion

Je ne suis pas énervée ou amère. Je crois que chaque chose en ce monde apporte quelque chose de positif. Je ressors de cette expérience chez Safran grandie, forte et sûre de moi.

Tout n’a pas été négatif, j’ai rencontré des personnes incroyables, des amis que je garderais toute ma vie j’en suis convaincue. J’ai aussi eu des expériences de travail très positives. Par contre, toute la politique humaine et salariale a été très éprouvante. J’ai cherché des exemples positifs à donner mais réellement, je n’en ai pas. Il m’a toujours été donné moins que ce qui m’avait été promis.

Evidemment, tout ce témoignage est très subjectif vous l’aurez compris. Je ne détiens pas l’unique vérité et je m’exprime en fonction de mes ressentis, mais si ceux-là peuvent aider une personne à l’avenir c’était pour moi important de les partager aujourd’hui.

J’ai eu des tords, j’ai été constamment dans la bataille, j’ai été très ambitieuse. Je pense que c’est la société qui m’a faite comme ça. Etant une femme dans un milieu très masculin, j’ai toujours travaillé plus, plus dur, pour montrer ma légitimité. C’était extrêmement dur pour moi de me projeter vers l’avenir : il y a très peu de femmes dans les hautes fonctions, au CODIR à part la RH et la communication, aucune femme. Si je veux une chance, il faut que je me batte fort non ? Alors j’ai travaillé, peut-être trop, mais du coup je me suis aussi ennuyée plus vite sur mes postes.

Aujourd’hui je quitte la société pour devenir indépendante dans l’illustration. Tout le monde trouve ça fou : je quitte un poste d’ingénieure pour me lancer dans l’art. Mais ce que personne ne voit c’est que ce que je vais faire en tant qu’entrepreneure est bien plus en adéquation avec ma formation. J’établis ma stratégie, mes objectifs, mon positionnement, ma communication, je réalise ma comptabilité et développe des partenariats. Chez Safran, en 8 ans, je n’ai jamais eu de décisions importantes à prendre,je n’ai jamais eu de grosses responsabilités, je suis restée une exécutante. Je n’ai pas fait 5 ans d’études pour espérer prendre ma première décision ou établir ma première stratégie à 50 ans. Peut-être que la société emploie trop d’ingénieurs pour faire un travail qui n’est pas adapté à leur formation.

Pour finir et parce que je crois que faire uniquement des reproches et présenter des situations négatives n’est pas constructif. Voilà quelques aspects qui selon moi sont extrêmement importants pour l’avenir :

  • Redonner de l’espace, de la neutralité et des possibilités aux RHs de proximité.

    Ils sont si peu nombreux et complètement du côté des directeurs. Les salariés ont besoin d’être accompagnés, qu’on leur donne une vision sur leur avenir, qu’on leur propose des formations, des suivis…

  • Proposer de la représentativité et de la diversité dans les postes de direction

    Actuellement, les plus hauts postes sont occupés par des hommes blancs entre 50 et 65 ans… Dans un monde aussi ouvert et divers que celui dans lequel nous vivons, la représentativité est essentielle. Il faut des femmes, des personnes d’origines différentes, des jeunes, des personnes en situation de handicaps… Comment innover et être modernes si le monde n’est vu que par un unique côté du prisme ?

  • Manager des personnes, en fonction de leurs forces et de leurs capacités, pas en fonction de leur matricule.

Adapter le mode de management aux profils me paraient essentiels. Nous sommes tous différents et avons tous quelque chose à apporter. Actuellement, nous sommes managés par la médiane. Il va être reproché à une personne comme moi qui souhaite toujours changer et apprendre d’être inconstante. Au contraire, il va plutôt être conseillé à une personne qui souhaite rester dans son poste et approfondir tous les aspects, de changer au moins tous les 4 ans. Aucune des deux personnes n’est meilleure que l’autre, ce sont juste deux forces dont il faut se servir en fonction des besoins.

Clémence