L’éloge de la fuite. (Ou l’inhibition de l’action.)
Henri Laborit eut une renommée internationale très médiatisée, car il fut le premier médecin à mettre au point les neuroleptiques dans les années 50 puis l’anesthésie locale dix ans plus tard.
Mais ce seront d’autres de ses travaux qui nous serviront de fil conducteur.
Dans les années 70, par le biais de son livre « La nouvelle grille » et dans les années 80, via le film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique » il permit au monde non spécialisé d’avoir une approche vulgarisée de ses travaux sur les liens entre biologie et comportement. En effet, si les changements biologiques de notre organisme peuvent modifier notre comportement (Ex : la faim active notre mode « recherche de nourriture » et nous rend plus agressifs, impatients et irritables.) pourquoi l’inverse ne serait pas vrai ? Pour expliquer l’expérience qui lui permit de confirmer cela, une image sera plus efficace qu’un long discourt.
A) Le rat extériorise le stress grâce à la fuite et ne donne pas de signe de dégradation physiologique ou comportementale.
B) Le rat extériorise le stress grâce au combat, et à part quelques griffures très superficielles, ne donne pas de signe de dégradation physiologique ou comportementale.
C) Le rat, lors des premiers jours essayera de fuir en cherchant une issue qui n’existe pas.
Par la suite et au moment du signal annonciateur de la décharge électrique, le rat, se sachant piégé, se recroquevillera sur lui-même et encaissera jusqu’à la fin de celui ci. Il va intérioriser le stress et créer de l’hypertension artérielle, perdre l’appétit, devenir agressif envers les autres rats du laboratoire jusqu’à s’automutiler.
La conclusion d’Henri Laborit est qu’évoluer dans un environnement préalablement identifié comme stressant par le sujet et sans possibilité d’action (fuite ou combat), dégrade aussi bien sa santé mentale que physique.
Or dans notre société, aussi bien dans le monde professionnel que familial, la fuite et le combat sont répréhensibles ou structurellement impossibles.
Prenons le cas d’une personne, sans qualification et élevant seule ses enfants. Cette personne, si elle veut continuer de subvenir aux besoins de ses enfants, sera obligée de se soumettre (si elle y est confrontée) à une politique managériale très dure, et malheureusement, au détriment de sa santé, car la fuite ou le combat sont impossibles pour elle.
Dans les années 2000, à la suite de la privatisation de France Télécom, les employés se sont retrouvés face à un changement de paradigme managérial. En effet, en tant que service public, leur mission historique était avant tout d’utilité publique, mais ce changement radical, orienté exclusivement sur des notions de rentabilité immédiate, conduisit un nombre impressionnant d’employés dans un état de stress et de dépression.
En juillet 2009 un technicien marseillais qui dénonce un « management par la terreur » se suicide.
Le même été, 6 employés se suicident à leur tour et le 11 septembre 2009, une employée de 32 ans se défenestre à Paris, un geste d’une extrême violence dont ses collègues sont témoins.
Une cellule de crise fut mise en place et environ 200 employés par jours demandaient à être reçu.
La réponse de la direction, face aux 35 suicides entre 2008 et 2009, fut : « Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide ».
Cette petite phrase souleva un torrent d’indignation et un dépôt de plainte pour harcèlement moral fut déposé.
Des changements drastiques des méthodes de management ont heureusement été apportés depuis chez France Télécom (devenue Orange) mais aussi dans la plupart des autres sociétés qui ont craint, suite au procès, de se trouver dans la même situation.
Le vendredi 30 septembre 2022, la cour d’appel de Paris a considéré que le «harcèlement moral institutionnel» est bien caractérisé dans l’affaire dite des suicides à France Télécom.
Ce verdict est d’une importance capitale, car il sert de jurisprudence si jamais de telles pratiques venaient à ressurgir.
Aujourd’hui, les services RH sont heureusement beaucoup plus impliqués dans la lutte contre le harcèlement (quelle qu’en soit sa nature). Au sein des entités SAFRAN, nous disposons de référentes harcèlement que je vous invite à contacter en cas de besoin ou bien l’un des élus du personnel qui tiennent ce sujet à cœur.
En parler est le premier pas d’une action salvatrice.
Lecture / film utiles : Henri Laborit, La nouvelle grille. Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique.